Liber

J’ai grandi dans une maison où quasiment aucun livre n’était visible.
Ma mère qui a toujours été une lectrice régulière, et qui m’a peut-être transmis ce goût de la lecture (difficile à dire quand ce n’est pas réellement explicite) avait quelques livres en allemand et surtout des Stephen King (ha les anciennes couvertures de Ça, qui me fascinaient !) mais ils n’étaient pas dans le salon. Je ne me souviens pas vraiment depuis quand je rêve d’avoir une gigantesque bibliothèque, je crois pouvoir affirmer un à peu près vers le début de l’adolescence lorsque je me suis gentiment dirigée vers l’Heroïc-Fantasy et l’art en général.
Je disais à l’époque qu’un foyer sans chat et sans livres était vide et il me faut bien reconnaitre que c’est une sensation que j’ai eu dans chaque maison, chaque appartement où je suis allée et où, eux, n’étaient pas.

C’est, je l’avoue, quelque chose qui me rend assez perplexe, les gens qui ne lisent pas. L’attachement émotionnel et thérapeutique que j’ai envers les livres, la lecture et la littérature m’empêche peut-être de pouvoir penser une vie sans. Lire c’est avant tout pour moi un tête à tête qui ne regarde personne d’autre que le sujet qui, à travers un livre, se lit aussi. C’est un moment intime qu’on choisit de partager ou non, un rendez-vous amoureux, sensuel même à bien des égards. Mon rapport au livre est complètement et totalement dans la sentimentalité, je trouve qu’il n’y a pas meilleur objet pour incarner le temps qui passe et les épanchements furieux de l’âme de ceux qui à la fois les écrivent et les lisent. Plus que les tableaux, car on peut toucher un livre, le respirer, l’abîmer, alors qu’une peinture reste le plus souvent inaccessible. 

Cette bibliothèque que je dessine dans ma tête depuis gamine est toujours la même. Et, surtout, elle a la même fonction : je me suis toujours dis qu’un jour je la construirai petit à petit pour moi bien-sûr mais aussi et surtout pour mon enfant plus tard si j’en ai. Je l’ai toujours vue comme une passation, un legs, quelque chose qui doit durer dans le temps bien après moi et que si je n’avais pas de descendance il serait stipulé très clairement (où, je ne sais pas mais à l’époque c’était très clair) que les livres ne devaient pas être jetés en bas de la rue mais donnés aux bibliothèques, aux infrastructures qui pourraient les accueillir, aux amis, même aux passants, aux sans abris, à la boulangère du coin mais qu’ils ne finissent pas à la poubelle ce qui était et reste ma plus grande hantise. Il n’était donc pas question d’acheter tout et n’importe quoi, les livres devaient être bien choisis par conscience  du temps qui passe et qui limite les lectures, et parce que je ne suis définitivement pas Crésus.
Cette très modeste mini Babel livresque je la veux également la plus honnête possible et essayer, autant que faire se peut, d’y croiser les paradoxes, les contraires, les idées qui ne font pas bon ménage mais qui pourtant se complètent. Éveiller la critique, le doute, les hypothèses. C’est une bibliothèque de l’entre-deux, qui représente parfaitement une quête morale pour ainsi dire, une ligne de conduite que je me suis toujours efforcée de tenir : ne jamais tomber dans l’extrême, ne jamais idéaliser une idée et Dieu sait que c’est difficile ! Parfois donc je garde des ouvrages qui, même s’ils ne m’ont pas totalement convaincue ou plu, le feront peut-être pour d’autres.

Un miroir de moi-même se forme petit à petit ainsi, ou peut-être un labyrinthe. Les annotations que je laisse dans les pages, les phrases/ paragraphes que je surligne sont autant de codes.  Quelle drôle d’image cette bibliothèque renverra de moi à mon fils ; des livres sur des épopées elfiques côtoyant les mystiques, des poètes faisant des clins d’œil aux ouvrages érotiques, la vérité crue des guerres européennes hypnotisée par le vaste Orient parfumé, les peintres et photographes dînant avec les maitres des classiques, les fantômes des Geisha partageant le saké avec les femmes effacées…

Naturellement au fil des années des thématiques se sont dégagées d’elles-mêmes. Consciente qu’hélas je ne pourrai jamais tout lire ni étudier dans ma vie, j’ai restreint mes choix en gardant ceux que j’aimais le plus, pourtant, je sais aussi que dans chaque livre se trouve une trappe qui s’ouvre quand elle le désire et qui ne laisse pas le choix que de s’y engouffrer pour, un peu comme un malheur réjouissant, ouvrir à nouveau d’autres perspectives de lecture. Au final, est-ce qu’on choisi vraiment quelque chose quand on lit ? Ou est-ce qu’on retourne constamment un sablier qui une fois écoulé d’un côté déverrouille des chemins de traverse ? Il m’est arrivé quelque fois, je le confesse, de regarder d’un oeil suspicieux mes livres en me demandant quel tour ils allaient encore me jouer. N’avez-vous pas l’impression très étrange que de temps en temps votre bibliothèque est vivante ? Imaginez qu’il s’agit d’un double de vous-même, de votre esprit, et même de partie de vous que vous n’avez pas encore vraiment compris. Oui il y a décidément quelque chose de très organique dans tout cela, une respiration secrète qui sent le papier et qui chuchote des mots incompréhensibles.

Je songe souvent aux bibliothèques parties en fumée à travers les siècles. Je songe au symbole extrêmement puissant que représente du papier avec des mots, à la célèbre phrase qu’Edward Bulwer-Lytton a écrit dans sa pièce de théâtre en 1839 : The pen is mightier than the sword. La plume est plus forte que l’épée. Il avait touché là une vérité cruciale. Combien de savoirs perdus pour toujours parce que trop dérangeants.. Il y a souvent cette affirmation qui se croit un peu acerbe en disant que les livres sont surévalués (s’il y a bien un objet qui ne l’est pas c’est pourtant celui-ci), qu’on les met sur un piédestal, qu’on en fait trop, que tout ceci devient élitiste et que sais-je encore. Mais il suffit de connaitre un temps soit peu son histoire pour comprendre l’importance cruciale qu’il a. Il suffit de savoir qu’à notre époque on veut porter atteinte à certains livres parce qu’ils dérangent. Encore.
Alors je m’interroge sur pourquoi on se croit si subversif en prétendant dénoncer une “consommation de masse” livresque. Franchement, comment peut-on parler en ces termes quand on compare cela à d’autres conso régulières, à tout hasard les fringues. Il me semble que tout cela n’existe que dans un certain fantasme tant le secteur est fragile et mis à mal dès que l’économie flanche. Ramener la vieille rengaine du capitalisme dans un domaine aussi mineur et frêle est, je trouve, de très mauvais goût. Et si quelqu’un veut son livre en 4 exemplaires différents sur son étagère parce qu’il trouve ces versions belles, qu’est-ce que ça peut foutrement bien nous faire ? Ce n’est pas comme si les écrivain.e.s étaient bien payé.e.s. Les bédéistes, n’en parlons même pas. Mais après tout, c’est peut-être une fois de plus un problème typiquement français ? (insert cringe comment about money here).
On en arrive quand même à faire des remarques consuméristes à des gens qui vivent simplement pleinement leur passion intellectuelle, qui pour certains représente plus que ce qu’ils ne peuvent en dire et qui s’auto-flagellent (haaa la tyrannie culturelle de la pénitence ♥) ensuite en demandant pardon dans des vidéos ou des stories d’avoir “autant consommé, oui j’ai pas fais attention c’est vrai, peut-être que j’achète trop” et blablabla. Quand est-ce qu’au juste on va foutre la paix aux gens ? Que l’on ne vienne pas me dire qu’il est normal de critiquer des personnes dont l’activité favorite est de s’asseoir quelque part avec un bouquin, sous prétexte qu’ils peuvent y mettre une somme que eux ne peuvent pas. Peut-être, par pur hasard, pourrait-on une fois de plus, se préoccuper de nos propres étagères au lieu d’aller regarder ce que font les autres des leurs.

Il y a une très belle phrase, prononcée récemment par l’écrivain Yasmina Khadra qui en peu de mots résume tout : “Heureusement qu’elle est là la littérature. On peut pas trouver meilleur ami que le livre. Il ne demande rien le livre. Il est là, il bouge pas, il prend la poussière. Et puis, on l’ouvre et il vous offre le monde.”

Il vous offre le monde…



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Commentaires

2 réponses à “Liber”

  1. Avatar de Irène

    Je suis complètement d’accord sur les accusations de surconsommation de livres… Surtout quand on sait que les problèmes éventuels viennent bien plutôt de la structuration du secteur. Avec un quart de livres qui partent au pilon chaque année, et certaines maisons d’édition qui sortent à la pelle des livres creux et mal édités, on peut bien accumuler un peu chez nous si on veut ! (Et je dis ça alors que j’accumule assez peu en comparaison avec beaucoup d’amies lectrices, j’ai tendance à faire circuler assez rapidement les livres que j’ai aimés sans être subjuguée et dont les éditions n’ont rien de remarquable non plus).

    1. Avatar de Minuit

      Tout à fait ! Je me souviens encore comment j’ai découvert ce fameux pilon, dans ma jeunesse naïve je pensais que les livres étaient gardés, remisés dans le fond comme dans un magasin de chaussures (quand j’y repense, ça ne fait aucun sens sinon les librairies seraient gigantesques ^^”), j’ai vu les livres jetés comme la bouffe que je jetais quand je bossais au McDo’ et ça m’avait sincèrement choqué. Après comme tu le dis très justement, c’est tout le secteur qui est défectueux, et qui met un temps fou à comprendre qu’il doit se restructurer et à prendre à bras le corps son courage pour le faire (même si on a aussi conscience qu’économiquement ce n’est pas jouasse mais enfin il faudra bien commencer quelque part un jour.)

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