Cela fait plusieurs années maintenant que je suis tombée sur le terme de « late bloomers ». On peut le traduire de plusieurs façons : personnes à floraison tardive, qui prennent leur temps ou plutôt qui ont besoin de temps, les amoureux de la lenteur, même pourquoi pas les angoissés du choix. Je fais partie de ces gens qui n’ont jamais su quoi faire dans la vie / de leur vie et la société dans laquelle nous évoluons n’aide aucunement lorsque la question du choix crucial de « quoi faire » de sa vie intervient, sous entendu quoi faire de rentable. A l’école je ne pensais jamais à mon futur moi grande, au collège tout cela me paraissait encore loin même si quelques idées commençaient à émerger : écrivaine, ethnologue, restauratrice d’art (que des trucs simples quoi). J’avais déjà un goût prononcé pour une certaine catégorie de métiers mais je me souviens comme si c’était hier de cette prof de français, qui était aussi notre prof principale, entrain de m’humilier devant ma mère en me disant que si je n’étais pas capable de citer ne serait-ce que Lévi-Strauss il ne fallait pas rêver pour des études d’ethnologie. C’est précisément à ce moment là que j’ai arrêté de me poser la question, puisque personne ne semblait penser que j’arriverais à quoi que ce soit, autant en rester là et faire un job merdique (nous sommes dans les années 90′ où il était de rigueur de sortir à chaque discussion sur la scolarité : « il n’y a pas de débouchés (pour tous les métiers hors administration, cadre etc (donc clairement tout ce que je visais) / il faut faire des études, les diplômes sont importants »). Au lycée je n’étais pas plus avancée, j’ai vivoté à la fac dans un brouillard continu sur ma vie ; littérature, anglais, rien ne m’intéressait parce que je ne pouvais pas me projeter.
A 23 ans, dans un appartement miteux à Paris dans le quartier des prostituées, tard dans la nuit je tombe sur un documentaire relatant la vie de moniales (je savoure encore aujourd’hui toute l’ironie de cette situation, surtout que je suis née rue des religieuses). L’idée me traverse, devenir bonne sœur ne peut pas être pire que d’errer continuellement. Cette idée je l’avais déjà en moi depuis longtemps en réalité, ce n’est que des années plus tard que j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’une volonté d’acte de foi (puisque je ne l’avais pas, disons pas de façon classique) mais la conséquence de choses vécues enfant. Parfois maintenant encore je me surprends à vouloir tout plaquer et partir dans un monastère, mais je regarde cette pensée avec tendresse, elle n’est que le vœu d’une petite fille qui a peur du monde.
Alors, de McDo en vendeuse polyvalente, on passe son temps à détester son emploi, les gens, et particulièrement ceux qui savent depuis longtemps ce qu’ils veulent faire. Leur route toute tracée était une insulte, un rappel constant que moi j’étais incapable de choisir ni d’avoir une « vocation ». Ce qui me rendait heureuse c’était de lire, d’apprendre, d’observer le monde, rien en somme qui ne rapportait de l’argent et c’était bien là le problème. J’avais dû être une scolastique dans une autre vie c’était sûr pensais-je parfois en me moquant de moi-même, sans hésitation si cela était possible j’aurai voulu n’être qu’une apprenante, une étudiante, compiler jour et nuit des savoirs, découvrir incessamment tout ce que le monde dans lequel je vis me réserve, partager ces découvertes avec d’autres, se questionner sans cesse, écrire, oui voilà assurément ce que j’aurais voulu faire toute ma vie. Et Mazel tov les forums ont ensuite fait leur apparition, pour le meilleur et pour le pire.
Je dois faire ici un aparté sur mon environnement familial qui a grandement, voire essentiellement, joué sur mes non-choix et mes errances. J’ai grandi dans une famille très modeste, personne n’a jamais fait d’études, un père qui ne jurait que par la dureté de la vie et une mère coincée dans des rôles qu’elle ne voulait pas tenir, une demie-sœur de 11 ans mon aînée, la question de l’argent qui revenait sans cesse, et moi-même qui faisait office de cygne noir = trop différente. Des violences verbales et physiques ont jalonné mon quotidien, dans ma tête – et plus tard spatialement – je m’enfuyais vers des rivages qui recélaient des trésors merveilleux : l’imaginaire littéraire, la spiritualité, la nature vivante tout autour de moi. Si j’avais grandi en banlieue la mort, la drogue, la prostitution, l’alcool m’auraient très probablement cueillie plus tôt (par cette affirmation je n’acte pas que c’est ce que l’on retrouve systématiquement comme parcours, mais que c’en est un qui m’aurait été bien plus accessible, et connaissant mon terrain addictif je peux donc en attester). On comprendra très bien que je ne fais qu’effleurer mon vécu dans cet article.
Alors à 38 ans maintenant (39 à l’heure où je finis cet article), qu’est-ce qui a changé ? Des années de bullshit jobs auront eu le mérite de tant m’en dégouter que j’ai préféré choisir une formation qui certes ne m’a toujours pas dirigée vers un métier que je suis sûre de vouloir faire mais qui me permet au moins d’avoir une autre perspective. Une perspective et pour le moment cela restera en l’état : je dois faire le deuil de la vocation jamais venue, du désir sûr de savoir quoi faire, d’une carrière aimée. Bien sûr on peut me rétorquer qu’il n’est jamais trop tard, que les changements de parcours existent, qu’il ne faut pas désespérer, bref tout le blabla habituel qui n’aide pas. Ce qu’il me reste c’est simplement le devoir impérieux d’avancer toujours plus parce que je ne peux ni reculer ni rester sur place. Le devoir impérieux et angoissant de devoir faire quelque chose. Je suis une femme, de bientôt 40 ans, maman solo, avec divers troubles, je ne pars clairement pas avantagée dans l’histoire ; et même si je rechigne à en parler, être une femme dans cette situation est dangereux. Non seulement pour mon quotidien, je ne peux décemment pas être précaire encore pendant des années, et parce que tout me rappelle constamment que l’heure tourne, que je suis égoïste et irrévérencieuse de penser à moi en premier, que je devrais me tuer à la tâche, endosser l’ultime sacrifice parental tant porté aux nues (et qui fait des dégâts considérables), suer sang et eau dans un taff où je me ferais littéralement exploitée tant en tant que personne physique et intellectuelle qu’en terme de revenu cela va sans dire.
Est-ce vraiment ça le luxe de nos jours ? Ne pas vouloir être une esclave d’une société que l’on ne comprend pas du tout et dans laquelle on souffre de vivre ?
Je relisais ce matin l’article de La lune Mauve sur entre autre la solitude et l’introversion. Deux caractéristiques inscrites en moi depuis toujours (difficile de dire si cela est dû aux évènements traumatiques ou à ma personnalité « de base »), deux aspects que l’on m’a beaucoup reproché et que ce faisant j’ai défendu bec et ongle (donc merci aux abruti.e.s). Des valeurs que j’ai vu au fil de ma vingtaine être de plus en plus marketées et franchement, quelle douce rigolade : les gens de la com qui sautent sur un sujet aussi vieux que le monde et pensent avoir inventé l’eau chaude en vendant en coffret un plaid, une tasse et un carnet pourri de 15 pages affublé d’un titre en danois. L’insulte serait drôle si cela ne cachait pas en fait une profonde détresse pour ceux qui vivent quotidiennement dans leur chair cette préférence incarnée : celle du silence et de la lenteur, dans le monde tel qu’on le vit actuellement qu’est-ce qui représente le mieux une résistance que ça, à toutes les époques même devrais-je dire. J’ai fini par remercier cette introversion car c’est grâce à elle que j’ai trouvé le courage un matin en me levant de me dire que c’était le moment ou jamais de démarrer une thérapie. Ce sont ces silences cherchés et cherchés encore, en moi, autour de moi, qui m’ont permis un dialogue intérieur honnête et de moins en moins tyrannique. Mais cette solitude que je pouvais faire jaillir de moi je la subis de plein fouet depuis mon déménagement. A la campagne j’étais entourée de peu de monde et je ne cherchais la compagnie de personne, ici en ville je suis entourée de milliers de gens et je me sens très seule. Le fait de voir des gens sociabiliser, de grès ou de force, dans la rue, les cafés et restaurants etc me ramènent à chaque fois que je sors à mon incapacité de me lier avec mes congénères. C’est un fait, je ne sais pas créer du lien hors ligne avec de parfaits inconnu.e.s ; les gens me font peur, m’écœurent et comme on est plus à un paradoxe près, ils m’attirent, me questionnent. Mais je commence à faire la paix avec tout cela, parfois un sourire rendu dans le tram me suffit à savoir que je n’ai pas disparu, que je ne suis pas un fantôme. Cela me suffit de savoir qu’il me faut du temps et que des amitiés indéfectibles arrivent parfois au crépuscule.
Je vais parler plus longuement de ma thérapie dans des articles protégés (soit par code, soit par lien uniquement donné par mail), j’ai beaucoup réfléchi à les laisser public ou non, la concordance avec mon discours de ne pas voir assez d’articles traitant de santé mentale (j’entends d’article personnel et non informatif), l’hypocrisie que cela pourrait susciter et que je peux concevoir sans peine, mais nous sommes ici sur le net et j’ai bien trop conscience de la méchanceté des gens pour leur laisser le plaisir de trouver des informations me concernant qui pourraient alimenter leur délire et leur stupidité, j’ai mes priorités et elles ne sont clairement pas tournées vers eux.
Voici la mise à jour que je peux faire à cet instant T, de mon chemin chaotique et finalement bien commun. Je désentortille le récit de ma vie quasiment chaque jour, depuis février je suis revenue au prologue, maintenant je dois relier les paragraphes entre eux et les relire à nouveau avec une autre perspective. C’est l’aventure intérieure la plus riche que j’ai jamais eu. Flippante à bien des égards, mais absolument nécessaire. J’y reviendrai bien plus en détails au fil du temps, en espérant que vous continuerez de voyager avec moi.
Je fleuris tardivement, j’ai le temps.
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1. Crédit inconnu
2. Thomas Wijck, The Alchemist 1677
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